ADI N-A s’est entretenue avec Stéphane Vincent de La 27e Région pour parler de design dans les politiques publiques, d’innovation sociale, de responsabilité professionnelle et des conditions de réussite d’un projet dans lequel designers et autres professions collaborent. On vous présente l’entretien en cinq parties.
Pour commencer, c’est quoi la 27e Région ?
La 27e Région est une organisation créée il y a un peu plus de dix ans avec l’idée de proposer un format de laboratoire depuis lequel on pourrait réfléchir sur la façon de concevoir des politiques publiques.
La structure non commerciale travaille pour un cercle d’adhérents dont des départements, des Régions. Elle se finance par les adhésions des collectivités ainsi que par des programmes d’innovation (recherche-action).
Modélisation de méthodes, immersion dans les collectivités, observation des usages et des besoins, l’organisation s’implique sur différents sujets d’anticipation.
Le design fait partie intégrante du système d’analyse des projets et participe à répondre à la question de l’innovation dans l’action publique par sa capacité à transformer les idées en tests, par son rôle d’interface entre les différentes professions impliquées, tout comme par ses méthodes d’incarnation des usages.
On en est où du design dans les politiques publiques ?
Du point de vue de Stéphane Vincent, il y a eu trois évolutions, trois temps dans la façon de penser les politiques publiques, depuis la création de la 27e Région.
-Il y a d’abord eu la prise de conscience et l’éveil des collectivités quant à la question de l’innovation avec la mise en place de tests de méthodes, d’association de parties prenantes aux réflexions, etc. Cela a conduit à l’accompagnement de la mise en place de la co-conception des sujets, qu’il s’agisse d’accès à la santé ou de scolarité pour ne citer que quelques exemples.
-Puis les collectivités ayant commencé à maîtriser ces approches, certaines ont souhaité pérenniser les démarches d’innovation en intégrant leurs propres cellules de réflexion à travers l’internalisation de designers mais également de sociologues, ou de spécialistes des sciences comportementales. Cela a conduit au questionnement de l’organisation de ces équipes nouvelles. A quel service doit-on les rattacher, quelle place fait-on dans l’organigramme ?
-Enfin, et en parallèle du mouvement des gilets jaunes, on s’est aperçu de l’insuffisance de la création de cellules d’innovation. Pour faire bouger les lignes ce sont les pratiques du pouvoir elles-mêmes qu’il faut changer et notamment la façon dont sont prises les décisions par les élus, les exécutifs ou encore les directions générales. Cela a conduit à l’étude de l’innovation dans les gouvernances, à la recherche de formes de gouvernances plus ouvertes. Dans ce contexte, la 27e Région mène une étude avec le Conseil départemental de la Gironde sur de nouvelles formes de comptabilité et sur la manière dont on pourrait intégrer des critères écologiques et sociaux dans les systèmes comptables.
Quel lien entre innovation sociale, design et sphère publique ?
Est-ce que l’on fait aussi de l’innovation sociale lorsque l’on repense les politiques publiques ?
Innovation sociale vient du mot anglo-saxon "social innovation" au sens de collectif sociétal. En France, on associe souvent l’innovation sociale au sens de l’innovation dans le champ l’insertion.
Pour la 27e Région l’innovation sociale se fait pour les gens par les gens. C’est faire le pari que les populations peuvent produire des solutions à leurs propres problèmes pour peu qu’on leur en donne les moyens, la place et que l’on favorise la coopération.
Le Design peut se mettre au service de l’innovation sociale. Le designer qui croit à l’innovation sociale croit à la capacité d’innovation et de créativité des gens.
Cette branche du design est certainement le chaînon manquant de l’action publique car les usagers sont encore malheureusement perçus comme des variables d’ajustement et ne sont pas mis au centre de la réflexion. Un designer social ne peut pas travailler dans la sphère publique sans se mettre dans la peau des usagers des services publics.
Il y a de la demande et un énorme besoin dans les institutions, les services de l’état, les collectivités. Il y a un vrai déficit de conception, on ne sait pas se mettre dans la peau de l’usager, c’est encore très compliqué.
En pratique, quels sont les points de vigilance à avoir ?
Un projet réussi : La 27e Région a travaillé avec une Région, un département et une communauté de communes à la création d’une nouvelle médiathèque. Très en amont de la création de nouvel espace public, un travail de réflexion a été mené avec des designers, des sociologues, les élus et les habitants du territoire.
Avant de se lancer dans le programme architectural, une étude sur les besoins, les usages culturels, jusqu’aux problèmes sociaux a donc été conduite. La démarche a duré environ cinq mois avec une immersion de l’équipe, des tests, des prototypes, des scenari d’usage grâce aux méthodes de design.
Le résultat a été que les gens ne voulaient pas juste une médiathèque mais un lieu où l’on puisse être acteur des activités, auteur, parler d’emploi, chercher une information, etc. une sorte de tiers lieux. Les habitants ont été associés très en amont et dès la première année, 9000 personnes sur les 18 0000 habitants du territoires ont pris leur adhésion. Et aujourd’hui, la moitié des activités proposées par la médiathèque sont en réalité menées par les habitants.
Des prérequis nécessaires : Ces approches ne sont pas toujours des succès. A titre d’exemple, un travail mené sur la carte jeune dans une collectivité.
L’enquête et la démarche étaient intéressantes mais chemin faisant l’équipe de la 27e Région s’est aperçu que l’équipe « client » n’avait pas la taille critique pour suivre le projet, que les investissements n’étaient pas au rendez-vous, qu’humainement beaucoup étaient en burnout, etc.
"En tant que designers on aurait pu s’assurer qu’il y avait bien un niveau de disponibilité et d’intérêt de l’équipe ainsi que les moyens financiers pour accompagner le projet."
Il faut toujours avoir des critères. Tout projet n’est pas bon à traiter avec des méthodes de design. Il faut sans doute des critères pour objectiver le projet et voir s’il est mûr. Il faut être en mesure de dire non.
Un parallèle intéressant avec les accompagnements menés par ADI N-A sur le sujet du design dans les entreprises. Il est de la responsabilité des équipes ADI justement de s’assurer que les ressources, la structure, l’organisation, etc. soient réunies pour porter un projet de design.
Il faudrait à côté de la pratique (on est tous un peu fascinés par le design), poser un cadre, identifier les prérequis financiers et décisionnaires pour qu’un projet fonctionne. Il y a besoin de retours d’expérience, d’évaluation, etc. Les démarches de design doivent être mesurées et évaluées.
De la nécessité d’une communauté d’innovation…
Le design est central dans les projets de la 27e Région. Il y a donc régulièrement des designers de la branche du design de service. Ce sont souvent des designers qui ont appris le design industriel, le design produit ou l’éco-conception en formation, puis qui se sont spécialisés sur le tertiaire et le service voire le service public. Il y a aussi avant eux ou en collaboration avec les designers, des sociologues qui observent les pratiquent des gens, des urbanistes participatifs et même des juristes.
Les designers sont centraux car ils permettent de concrétiser des tests utilisateurs mais en dialogue avec d’autres professions ; c’est une vision multidisciplinaire. Cela prend donc une communauté d’intervenants.
"On peut proposer à ceux qui s’interrogent sur ces formats de collaborations de travailler avec nous, de tester ces pratiques collaboratives. Les designers apprécient aussi de participer à des programmes de recherche, pour se renouveler, ouvrir de nouveaux sujets. La 27e Région peut leur apporter des sujets et ceux qui veulent passer à l’action peuvent y trouver un lieu laboratoire pour défricher des sujets qui ensuite rejoindront les marchés."
Pour aller plus loin